Le 11 mai 2021, le rapport du 7ème recensement démographique de la Chine a été publié. Le vieillissement accéléré et le taux de natalité à la baisse sont autant de facteurs qui ont remis sur le devant de la scène les discussions autour du report de l'âge du départ en retraite. Deux mois plus tôt, le 11 mars, la 4ème session de la 13ème Assemblée nationale populaire adoptait la résolution sur le 14ème plan quinquennal pour le développement économique et social national ainsi que les grandes lignes de la Vision 2035. Selon celle-ci, la Chine repoussera l'âge du départ à la retraite au cours des cinq prochaines années, et ce en se conformant à des principes d’« ajustement doux et progressif, de mise en œuvre flexible, d'avancement par catégorie et de coordination équilibrée ».
L'âge minimum de la retraite étant fixé à 50 ans, les Chinois partent à la retraite plus tôt que la moyenne mondiale
En chine, le départ à la retraite est aujourd'hui fixé à 60 ans pour les hommes, 55 ans pour les femmes cadres (salariées de la Fonction publique et des entreprises d'État), et 50 ans pour les travailleuses des entreprises privées. Pour les hommes exerçant un travail considéré comme extrêmement pénible ou nuisible à la santé, comme c'est le cas pour le travail souterrain dans les mines, celui exposé à une haute température et celui en hauteur, l'âge légal de la retraite est fixé à 55 ans.
Ce cadre d’âge avait en fait été établi au début de la Chine Nouvelle et lancé en parallèle du règlement de la République populaire de Chine sur l'assurance du travail, promulgué le 23 février 1951, alors que l'espérance de vie moyenne en Chine était inférieure à 50 ans. Or, en 2020, celle-ci atteint désormais 77 ans.
D'autre part, la société chinoise est aujourd'hui confrontée à un vieillissement de la population qui s'accentue. Selon les statistiques du Bureau national des statistiques, en 2000, les Chinois âgés de 65 ans et plus représentaient 6,96 % de la population. En 2020, ce chiffre est passé à 13,5 %, soit une augmentation de 94% de la part des seniors dans la population en l'espace de 20 ans.
(100 millions) /65 ans et plus/Part de la population totale
Evolution du nombre de personnes âgées en Chine et projections d'ici 2050
Selon le critère de classification retenu par les Nations-Unies, si la part de la population âgée de 65 ans et plus dans un pays dépasse les 7%, on peut considérer que celui-ci abrite une « société vieillissante ». Si l'indicateur dépasse les 14%, alors il s'agit là d'une « société âgée ».
En ce qui concerne la Chine, la part des personnes âgées de 65 ans et plus avait déjà franchi la barre des 7% au début du siècle, et elle n'a cessé d'augmenter pour atteindre en 2020 le taux record de 13,5 %. D'après les dernières données prévisionnelles publiées il y a peu par le ministère des Affaires civiles, d'ici la fin de la période du 14ème plan quinquennal, c'est-à-dire en 2025, la Chine rejoindra la catégorie des « sociétés âgées ».
Il convient de noter que le vieillissement accru de la population sera à l'origine d'une autre crise, préoccupante pour tous, à savoir l'insuffisance des réserves des pensions de vieillesse.
Le régime chinois de sécurité sociale repose sur un système de financement « par répartition », qui consiste à alimenter les caisses de retraite par les cotisations basées sur les revenus professionnels des travailleurs en activité, lesquelles servent au paiement des pensions des retraités au même moment. Cependant, en raison du nombre croissant de personnes âgées, les caisses de sécurité sociale doivent faire face à un épuisement des réserves des cotisations versées dans de plus en plus de provinces.
À partir de l'année 2005, la Chine a commencé à augmenter les pensions de vieillesse. Jusqu'en 2015, durant 11 années consécutives, l'augmentation des retraites a enregistré un taux de croissance annuel de plus de 10%, et celui en 2006 s'est élevé même à 23,7%. Depuis 2018, ce taux de croissance s'est stabilisé autour d'environ 5%. En avril dernier, l'État a annoncé une hausse unifiée de 4,5% des retraites pour l'année 2021. 2021 sera donc la 17e année d'affilée d'augmentation des pensions des retraités en Chine
Selon le rapport actuariel sur les retraites en Chine 2019-2050, publié par le Centre de recherche sur la sécurité sociale mondiale de l'Académie chinoise des sciences sociales, les cotisations des actifs ne peuvent déjà plus couvrir le versement des retraites dans 16 provinces. À l'échelle nationale, les subventions financières liées à ce poste budgétaire n'étant pas prises en compte, le solde du système chinois des retraites était déjà négatif en 2019. Et même si les subventions financières étaient prises en compte, en 2028, le solde de l'exercice serait négatif, et en 2035, le solde cumulé épuisé. D'ici là, une grande part de la population âgée sera donc confrontée au risque de ne plus toucher ses pensions de vieillesse. Bien sûr, il ne s'agit là que d'une projection théorique, sans prise en compte dynamique de diverses mesures qui pourraient être adoptéesentre-temps.
En réalité, tout comme le vieillissement de la population, auquel quasi tous les pays du monde doivent faire face, l'insuffisance des retraites est un phénomène planétaire préoccupant, qui touche plus particulièrement, entre autres, le Japon, l'Allemagne et la Russie. Face à ce problème structurel, les différents pays tentent de trouver des solutions, parmi lesquelles l'une consiste à proroger l'âge de départ à la retraite.
Un avancement à petit pas, un choix laissé à chaque travailleur
Selon un document intitulé Cent questions sur l'apprentissage et l'orientation (sur les recommandations) de la cinquième session plénière du 19ème Comité central du Parti communiste chinois, publié en novembre 2020, le gouvernement va mettre en place le report de l'âge de la retraite conformément à l'esprit qui se résume en « un avancement à petit pas, une mise en œuvre flexible et un renforcement des incitations ».
En quoi consiste cet avancement dit « à petit pas » ? Selon Chu Fuling, professeur à la Faculté d'assurance de l'Université centrale de finance et d'économie et directeur du Centre de recherche sur la sécurité sociale deChine, interviewé par 21st Century Business Herald, « l'avancement à petit pas » signifie un report de l'âge du départ à la retraite de seulement quelques mois par an, et ce, sur une période de nombreuses années, pour atteindre de manière progressive l'âge cible fixé par la réforme.
Quant à la « mise en œuvre flexible », c'est une politique qui va de pair avec le « renforcement des incitations ». Selon Chu Fuling, la politique va sûrement prévoir une fourchette d'âges de la retraite, du minimum au maximum, tout en préparant les esprits au principe selon lequel ceux qui paieront plus de cotisations toucheront plus de pensions. Prenons comme référence le système de retraite des États-Unis : l'âge de la retraite y est en principe de 66 ans, mais on peut demander sa retraite à partir de 62 ans et on peut travailler jusqu'à 70 ans. Une personne percevra sa retraite à taux plein si elle part à la retraite à l'âge de 66 ans. Si elle part plus tôt, elle touchera sa retraite avec une réduction du montant de sa pension ; si elle part plus tard, la pension sera majorée.
Selon Zheng Bingwen, directeur du Centre de recherche sur la sécurité sociale mondiale de l'Académie chinoise des sciences sociales, la réforme progressive du report de l'âge de la retraite s'échelonnera au cours du 14ème plan quinquennal (2021-2025). Les chercheurs et les universitaires sont plutôt favorables à un report de trois ou quatre mois par an, de sorte que la transition soit suffisamment progressive sans pour autant être trop lente, car si l'on repoussait le départ à la retraite seulement de deux mois par an, la transition prendrait jusqu'à six ans pour réaliser un report d'un an de l'âge du départ. D'ailleurs, le report de trois ou quatre mois par an semble plus adapté aux conditions nationales de la Chine et est susceptible d'être mieux accepté par la population.
Si l'on calcule sur la base d'un report d'un an réalisé sur une période de trois ans, l'objectif de porter l'âge de départ à la retraite de 50 ans à 60 ans pour les femmes sera atteint dans 30 ans ; il faudra compter 45 ans si l'âge cible est de 65 ans. Si l'on repousse d'un an le départ à la retraite tous les quatre ans, il faudra alors attendre 40 ans pour que l'âge cible légal soit enfin instauré. En réalité, une réforme "progressive" des retraites de ce genre ne date pas d'hier à l'échelle mondiale. Lorsque l'Europe a été frappée en 2008 par la crise financière et puis en 2010 par la crise de la dette dans la zone euro, une dizaine d'États membres de l'Union Européenne ont reporté, dans le courant de l'année 2010, l'âge de la retraite, en recourant presque tous à une démarche progressive.
Dong Keyong, professeur à l'Université Renmin de Chine, estime que, au lieu de demander à tous de prendre sa retraite à une date fixée de manière rigide par l'État, il vaudrait mieux que le choix de l'âge du départ soit laissé à chacun des travailleurs. Cependant, pour les agents de la fonction publique dont le mandat de travail est déterminé et réglementé, ils doivent se conformer aux réglementations en vigueur et ne peuvent donc pas décider eux-mêmes quand partir à la retraite. En outre, les personnes exerçant un travail physique pénible ou exposées à un environnement de travail toxique ou nuisible à la santé devraient bénéficier d'aménagements préférentiels concernant leur âge légal de la retraite.
En d'autres termes, lors de l'application de cette réforme de report de l'âge de la retraite, il faut penser à des modalités plus assouplies. Prenons comme exemple ceux qui sont entrés dans la vie active à un très jeune âge et qui ont travaillé et payé leurs cotisations pendant de longues années, ou bien ceux qui ont des petits-enfants dont ils doivent s'occuper, il se peut qu'ils préfèrent prendre une retraite anticipée et toucher leurs pensions plus tôt. D'autres ont fait des études jusqu'au doctorat et ne sont devenus des actifs que vers l'âge de 30 ans, - et pour pratiquer d'ailleurs un travail intellectuel -. Alors de manière générale ils sont bien évidemment prêts à travailler encore quelques années de plus au-delà de l'âge légal du départ à la retraite. De nos jours, beaucoup d'enseignants et de médecins continuent de travailler alors qu'ils ont déjà atteint l'âge de la retraite, et si le gouvernement ne leur permettait pas de continuer à travailler, cela entraînerait un énorme gaspillage de ressources humaines.
Les femmes chinoises prennent généralement leur retraite à un âge précoce. Certaines quittent la vie active dès 50 ans. La photo montre un groupe de retraitées en train de répéter sur une place pour un spectacle de tambours de ceinture
En bref, comme la situation varie d'une personne à l'autre, il faudrait repenser l'âge légal de départ à la retraite et l'âge à partir duquel on peut percevoir sa retraite à taux plein, et ce de manière indépendante. Autrement dit, en parallèle du report progressif de l'âge du départ à la retraite, des changements portant sur l'âge (ou les âges) de départ à taux plein devront aussi être affinés. L'essentiel sera de donner à chaque individu le droit de choisir : s'il souhaite percevoir sa pension plus tôt ou plus tard, ainsi soit-il. Sur le plan politique, les travailleurs ayant payé plus de cotisations auront droit à plus de pensions ; ceux qui prendront leur retraite avant l'âge légal toucheront leur retraite avec une réduction de la pension alors que ceux qui partiront plus tard percevront une pension majorée. La Chine ne sera pas le premier pays à recourir à de telles démarches, qui ont en fait des précédents au niveau planétaire.
Quant aux travailleurs ayant déjà un certain âge, l'État devrait également promulguer des dispositions législatives pour les protéger. De même, les entreprises devraient assumer leur responsabilité sociale envers ces employés, notamment quand il s'agit de licenciement. Serait-il envisageable d'introduire ce principe couramment appliqué dans les pays aux économies avancées, selon lequel les employés ayant moins d'ancienneté risquent davantage de faire l'objet d'un licenciement ? Au lieu de renvoyer en premier les salariés les plus âgés.
Pour la bonne mise en œuvre du report de l'âge du départ à la retraite, résume si bien le professeur Dong, l'État devrait adopter des politiques adéquates, et les entreprises devraient assumer leur responsabilité. Quant aux travailleurs, ils devraient être libres de choisir leur date de départ.
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