Par yiduread
Récemment, le Bureau national du Tourisme a publié un plan triennal pour la réforme des toilettes publiques. Selon ce plan, 64 000 nouveaux sanitaires verront le jour à l’horizon 2020. Le plan a pour objectif de créer suffisamment de WC, répartis de façon uniforme dans tout le pays, pour que les usagers puissent se soulager sans incivilité, dans un lieu hygiénique et écologique, avec une gestion efficace et un service de qualité.
En 2015 déjà, ce même bureau avait mis en place un premier plan triennal pour la réforme des toilettes publiques en déboursant plus de 20 milliards de yuans. L’objectif était de créer 57 000 toilettes publiques, propres et gratuites, pour les touristes avant la fin de l’année 2017.
Résultats, plus de 68 000 toilettes sont sorties de terre, l’objectif fixé a été dépassé, mais la propreté n’a pas été au rendez-vous.
Selon le « Rapport sur la compétitivité du tourisme 2016 - 2017 » publié en avril dernier par le Forum mondial économique, parmi les 136 pays étudiés, la Chine se trouve à la 15ème place du classement mondial en matière de compétitivité. En ce qui concerne les infrastructures touristiques, la Chine n’occupe cependant que la 92ème place, et en matière de propreté, c’est un mauvais élève puisqu’elle se place au 67ème rang.
En réalité, cette situation ne date pas d’hier.
Le 26 mars à Taiyuan, dans la province du Shanxi, un habitant passe devant « des toilettes publiques pour les animaux de compagnie » avec son chien.
Des décennies de réformes
A la fin de la dynastie Qing, la situation de l'hygiène en Chine était dans un état lamentable. Alors que les toilettes publiques et la chasse d’eau se démocratisaient déjà à l’étranger, les habitants de Pékin, Shanghai et Tianjin faisaient encore leurs besoins à l’air libre.
Lors de l’invasion par l’Alliance des Huit nations en 1900, ces dernières, ne supportant plus les habitudes ancestrales des Chinois, décidèrent d’installer des toilettes publiques. C’est aussi à ce moment-là que fut promulgué le premier ordre interdisant le soulagement en public. Malheureusement, après le retrait des Huit nations, le système des toilettes n’a pas été conservé et les habitants continuèrent de faire leurs besoins à l’air libre. En 1911, on ne comptait que 8 toilettes publiques à Pékin, dont 3 construites par les autorités et les 5 restantes par des fonds privés.
Même quelques décennies plus tard, lors de la fondation de la Nouvelle Chine en 1949, on comptait seulement 500 toilettes publiques à Pékin, toutes étant des latrines à fosse simple. Cependant, afin de lutter contre les différentes maladies transmissibles, la Chine connut peu après 1949 une révolution hygiénique : un nombre croissant de toilettes fut installé et les latrines à fosse simple furent remplacées par des toilettes fonctionnant avec chasses d’eau et construites avec un recueil mécanique des matières fécales (au lieu d’un recueil manuel auparavant).
Dans les années 90, l’Etat mena une réforme en milieu rural qui eut pour principal résultat une augmentation rapide et significative du nombre de WC publics. Fin 2003, on comptait déjà environ 107 900 installations dans tout le pays. La même année, l’Etat mit en place des critères d’évaluation des toilettes publiques sur les sites touristiques, sur le fonctionnement des hôtels avec des notes allant d’une à cinq étoiles.
Par ailleurs, l’UNICEF et l’OMS confirmèrent en 2015, que toutes les latrines à fosse simple en Chine en milieu urbain avaient été remplacées par systèmes à chasses d’eau.
Dans des sanitaires publiques à Pékin, une femme scanne son visage pour pouvoir avoir du papier hygiénique.
Une baisse du nombre de toilettes publiques par habitant
Néanmoins, malgré un nombre croissant de toilettes publiques en Chine, le nombre de sanitaires par habitant ne cesse de diminuer. Entre 2006 et 2014, le nombre total des installations s’est accru pour atteindre 124 000. On est cependant passé d’un équipement pour 288 000 personnes, à un pour 315 000.
De plus, on constate un déséquilibre important entre le nombre de toilettes pour hommes et celles pour femmes. Il y a toujours une file interminable de personnes devant les toilettes pour femmes, et c’est particulièrement vrai sur les sites touristiques. En effet, les femmes attendent en moyenne trois à cinq fois plus que les hommes.
Toutefois, cet écart du temps peut en partie s’expliquer par des différences physiques. Une étude montre qu’un homme passe en moyenne 33 à 45 secondes à se soulager, contre 82 à 96 secondes pour les femmes.
En 2016, le Ministère chinois du Logement et de la Construction urbaine et rurale a révisé les « Critères de conception des toilettes publiques en milieux urbains », décrétant que la proportion de toilettes de deux sexes doit être déterminée par une formule scientifique. Il préconise notamment que, dans les lieux de grand flux de personnes, les places de toilette pour femmes doivent être le double de celles des hommes (urinoirs inclus).
Cependant, le temps d’attente est loin d’être le seul problème des toilettes publiques en Chine. Lorsque c’est enfin votre tour et que vous rentrez à l’intérieur, vous n’avez plus envie d’utiliser ces installations puisque la plupart sont simplement trop sales et l’odeur y est pestilentielle.
Dai Bin, directeur de l’Institut chinois des recherches touristiques, nous apprend ainsi qu’au cours de ces dernières années, les plaintes contre l’insalubrité des toilettes publiques figurent souvent en tête des problèmes rapportés dans les enquêtes de satisfaction menées auprès des touristes. En 2014 : 23,3% des touristes se sont plaints de la saleté des sanitaires, juste derrière le nombre de plaintes contre le mauvais rapport qualité-prix du prix d’entrée (26, 42%). Les toilettes étaient tellement répugnantes qu’ils n’osaient pas y retourner une seconde fois.
Une gestion inefficace
Les toilettes publiques sont sales, d’une part car les équipements de nettoyage et les techniques ne sont pas très avancés, mais aussi parce que la gestion n’est pas assez efficace face à un flux très important. De plus, ce sont par des fonds publics que la plupart des installations sont entretenues, ce qui n’en garantit pas une gestion optimale.
Pourtant, nous pourrions nous inspirer de la réussite de l’Allemagne, un pays où la gestion des toilettes publiques est privée, avec Wall AG comme leader du secteur.
Concrètement, Wall AG n’a pas hésité à déployer des panneaux publicitaires sur ses jolies sanitaires pour en financer la gestion. La location d’espaces publicitaires constitue des recettes importantes pour l’entreprise. Par ailleurs, la société utilise également de la haute technologie pour améliorer la qualité de ses services : une petite musique est diffusée après le paiement des 50 centimes pour l’usage des toilettes; les installations sont désinfectées automatiquement après chaque utilisation ; il y a une balance sur certaines cuvettes qui permet de prodiguer des conseils de santé à son usager ; on peut y mesurer son rythme cardiaque ou y faire des analyse de selles.
Wall AG dispose également d’une vingtaine de véhicules par ville dédiés à la surveillance de ses toilettes publiques 24h/24. Les agents doivent contrôler les installations dont ils sont responsables trois fois par jour.
A Koshi dans la préfecture de Kumamoto au Japon, les toilettes publiques ne sont pas gérées par une entreprise privée, mais restent tout de même très propres car la gestion et le nettoyage incombent aux habitants locaux. Après avoir obtenu l’accord des habitants pour la construction de WC publics, les autorités ne s’en occupent plus. Les utilisateurs enlèvent leurs chaussures avant d’y pénétrer, comme il est coutume dans le pays de faire quand on entre chez quelqu’un.
Une toilette de 5 étoiles à Shanghai
Un manque de culture des toilettes publiques en Chine
Les incivilités sont aussi l’une des raisons principales expliquant l’état lamentable des sanitaires publiques en Chine : beaucoup d’usagers ne lésinent pas sur le papier toilette, et certains même n’hésitent pas à monter sur la cuvette pour faire leurs besoins, avant de jeter leurs déchets par terre.
Li Jinzao, directeur du Bureau national du Tourisme, en a déjà fait état. La mauvaise image des touristes chinois à l’étranger est très souvent due à leurs incivilités aux toilettes.
Ce manque d’éducation ne date pas d’hier. Mais le sujet des toilettes, symbole de la saleté et de l’impureté, reste tabou en Chine.
A l’inverse, les Japonais y accordent beaucoup plus d’importance, ce qui facilita l’application de réformes qui firent du Japon un pays reconnu pour sa propreté. Il y a plus de 30 ans, les toilettes japonaises étaient tout aussi sombres, sales et malodorantes qu’en Chine, mais les réformes menées à partir de 1984 ont tout changé. L’Institut japonais des recherches sur les toilettes publiques, fondé un an plus tard, avait pour objectif de « créer une culture de toilettes publiques » pour faire comprendre aux Japonais que les toilettes n’étaient pas un sujet tabou mais un aspect important de la vie.
Aujourd’hui, les parents et les grand-parents japonais apprennent à leurs enfants et petits-enfants qu’il existe un dieu des toilettes qui protège la famille et qu’il faut donc bien les nettoyer. Dans certaines régions du pays, on dit même des femmes qui entretiennent la propreté des toilettes, qu’elles sont bénis par le dieu des toilettes et qu’elles mettent au monde de beaux enfants. Cette mentalité se transmet ainsi de génération en génération.
En Chine, on manque cruellement d’éducation aussi bien à l’école qu’à la maison, mais aussi au sein de la société en général.
Heureusement, le plan triennal mettra l’accent sur la culture de la propreté aux toilettes. Avec un nombre croissant de toilettes publiques et un soucis de qualité, lutter contre les incivilités est la priorité de cette nouvelle réforme.
Comments