Les autorités sanitaires envisagent d’inclure le don de sang volontaire dans le système de crédit social national, cette nouvelle mesure a soulevé les inquiétudes du public quant à la confidentialité, à la sécurité des données personnelles et aux abus de pouvoir.
Par Yang Qun
Un document officiel publié par 11 départements le 19 novembre 2019 a ajouté le don de sang volontaire au système de crédit social du pays
Un avis publié par onze agences gouvernementales, dont la Commission Nationale de Santé, visant à inclure le don de sang volontaire dans le système de crédit social national a suscité un débat houleux et fait naître de nombreuses critiques.
Guo Yanhong, membre de l’équipe des superviseurs du Bureau de l’Administration Médicale de la commission, a déclaré lors d’une conférence de presse organisée le 4 novembre dernier que le don de sang constituait un comportement positif et qu’il serait opportun de l’inclure dans le système de crédit social. « Les autorités locales encouragent le don de sang non seulement avec des points supplémentaires attribués dans le système de crédit, mais également au moyen d’avantages redistribués tels qu’un accès gratuit aux installations publiques et aux parcs ».
Elle a également affirmé à cette occasion, qu’à l’inverse, choisir de ne pas donner son sang, n’affecterait pas pour autant le score de crédit social de chacun.
Ses propos n’ont cependant pas apaisé les craintes de la population. Certains experts ont fait valoir qu’avec une telle mesure la politique dépassait les mesures du raisonnable et débordait dans le domaine de l’éthique en mettant en danger la vie privée.
Liu Xinhai, directeur adjoint du comité de gestion du crédit de la société China Mergers & Acquisitions, a déclaré à Vision Chine que cette politique relevait de bonnes intentions mais que sa mise en œuvre devait encore être améliorée, ajoutant que, selon lui, le système de crédit social devrait plutôt se concentrer sur le comportement économique des individus. « Tout cela est lié à l’évaluation des principes moraux mais ce sont deux choses différentes ».
Des lignes floues
Les récentes craintes du grand public ont notamment trait au refus de voir le système de crédit social devenir un système fourre-tout pour réguler toutes sortes d’infractions sociales mineures. Le 18 novembre 2019, la Banque Populaire de Chine (People’s Bank of China PBoC) et la Commission de réglementation des banques et des assurances de Chine déclaraient par exemple que les frais de télépéages impayés de plus de 30 jours auraient des répercussions négatives sur les scores de crédit social des conducteurs concernés.
Deux jours plus tard, la Commission municipale du logement et du développement urbain-rural de Pékin et la PBoC signaient un mémorandum ajoutant aux dossiers de crédit personnel de la PBoC l’étude des violations commises quant aux règles de locations de logements subventionnés (et notamment de la sous-location de ces derniers).
Selon Dong Ximiao, directeur adjoint de l'Institut d'études financières de Chongyang, à l’Université Renmin de Chine, la question du télépéage et celle du logement public constituent des ajouts raisonnables au système de crédit social car elles reflètent étroitement les comportements individuels.
D’après lui, de nombreux gouvernements locaux y incluent d’autres infractions civiles telles que manger dans le métro, traverser la route n’importe comment ou encore ne pas porter de chemise dans les lieux publics, ce qui n’a pas été sans soulever plusieurs tollés. Dong maintient que bien qu’il puisse être nécessaire d’élargir l’étendue des comportements pris en compte dans le système de crédit social, tout cela devrait être fait avec prudence.
À ses yeux, « le don de sang et le respect des règles de circulation ne reflètent pas la véritable capacité d’endettement d’un individu pour une demande de crédit personnel et n’ont rien à voir avec le bon remboursement des prêts octroyés ».
Yue Zhigang, président de CCX Credit Technology – l’un des huit plus grands établissements de crédit personnel en Chine, a néanmoins déclaré à Vision Chine, qu’à ses yeux, il existe une zone grise entre la conception que l’on se fait du crédit et l’intégrité des personnes. Selon lui, dans les autres pays, les banques utilisent des systèmes de scoring spécifiques au crédit afin d’évaluer les capacités et la propension d’une personne à rembourser ses prêts. Le don de sang et certains délits comme le fait de ne pas prêter attention en traversant la route ne constituent ainsi pas des paramètres importants pour ces banques.
Des différences locales
De nombreuses autorités locales avaient inclus le don de sang comme une mesure comportementale prise en compte positivement dans leur système de crédit social, avant même que la Commission nationale de Santé n’émette un avis en ce sens.
Depuis 2017, la province du Jiangsu, par exemple, récompense les personnes ayant donné leur sang entre 20 et 30 fois en leur offrant la gratuité de certains services, comme des transports en commun, l’accès à des parcs ou encore des bilans de santé gratuits. Dans la capitale de la province, à Nanjing, ceux qui donnent plus de quatre litres de sang reçoivent une « carte de crédit » accompagnée d’avantages tels que le droit d’emprunter dans les bibliothèques publiques sans avoir à verser une caution.
Selon Fu Qiang, le directeur adjoint du Centre du Don de Sang de la Croix Rouge de Nanjing, le nombre de dons de sang a atteint 95 314, en hausse de 7.22% par rapport à l’année précédente, avec un volume total de 29.3 tonnes, soit une augmentation de 8.48%.
La ville de Weihai dans la province du Shandong a également pris des mesures visant à intégrer les dons de sang dans le système de crédit personnel local. Les résidents se voient ainsi remettre 10 points après chaque donation. Àce jour, près de 80 000 donneurs ont droit à un traitement préférentiel dans les hôpitaux, les banques et pour l’utilisation de certaines installations publiques.
Les villes ont aussi encouragé d’autres sortes de comportements par le biais de leur système de crédit social. En avril 2019, la ville de Xi’an, dans la province du Shaanxi, y a ainsi inclus le tri sélectif des déchets. Selon les responsables locaux, leur système local de crédit social est différent du système de la PBoC, qui depuis 2006 a recensé toutes les informations relatives aux prêts personnels, aux remboursements et à la bonne exécution des contrats.
Lois et réglementations
En 1932, l’économiste Chinois Zhang Naiqi créait l’institut social du crédit de Chine, le premier du genre dans tout le pays. Après la fondation de la République populaire de Chine en 1949, l’institut fut déplacé à Taiwan. En 1988, le Ministère du commerce extérieur et de la coopération économique, qui fait maintenant partie du Ministère du commerce, créait le Fareast Credit à Shanghai afin de faciliter les investissements étrangers en Chine. En 1999, la compagnie d’information et de services de crédit devenait la première institution de crédit personnel du pays. La même année, la PBoC commençait à constituer une base de données dédiée au crédit personnel couvrant tout le pays.
Selon les déclarations de Liu Xinhai, qui a travaillé pendant des années pour l’institut financier et le centre d’information de crédit de la PBoC, la Chine avait un besoin urgent de mécanismes de soutien du marché avant de pouvoir rejoindre l’Organisation Mondiale du Commerce. À cette époque, le secteur financier chinois, et plus particulièrement dans les domaines des cartes de crédit, des hypothèques immobilières et des prêts à la consommation, connaissait une croissance explosive. C’est ce qui a incité la PBoC et la Commission Nationale de Développement et de Réforme (NDRC) à développer le système de crédit social.
« Après un certain temps, la PBoC fut seule en charge du système de crédit social, et ce en raison de ses relations étroites avec le monde de la finance », d’après Liu. « Puis, la NDRC a finalement réalisé que le mécanisme de gestion du crédit et le système de partage d’information pouvaient être étendus à des problématiques de gestion sociale visant à rendre l’environnement économique propice aux affaires. Elle a ainsi mis en place la plateforme internet Credit China, à laquelle de nombreuses autorités locales et agence gouvernementales se sont jointes ».
Le système de crédit de la PBoC ne couvre pas seulement le crédit des particuliers mais également le crédit financier des entreprises, tandis que le système de crédit social de la NDRC est axé sur les comportements en société, la politique et le système judiciaire. Selon Liu, le système de crédit social de la PBoC correspond aux standards internationaux et est plutôt avancé.
Ces dernières années, la Chine a accéléré le développement de la plateforme Credit China. Le pays dispose d’un code de crédit social à l’échelle nationale qui comprend 34 millions d’items correspondant aux entreprises nouvellement enregistrées. Selon un rapport de l’agence de presse Xinhua, au moins 71 départements et provinces gouvernementales sont couvertes par la plateforme nationale de partage d’information.
Malgré une croissance rapide, le système de crédit social de la Chine demeure toutefois dépourvu de supervision et gestion juridiques. C’est la raison pour laquelle le projet de loi sur le crédit social a vu le jour. Les experts ont mis en garde sur le fait que le système chinois de crédit social ne disposait pas à ce jour d’un système intégré pour traiter les grandes quantités de données en jeu.
Yue Zhigang a ainsi déclaré à notre journaliste que le gouvernement traitait la majorité des données concernant l’industrie, le commerce, les dossiers judiciaires, les taxes et les assurances. Cependant, il n’y aucun système pour accéder, utiliser et échanger légalement ces données.
Selon Xue Hongyan, le directeur adjoint de l’institut financier privé Suning, la PBoC a joué un rôle crucial dans le développement du système de crédit social de Chine et qu’il demeure difficile pour les institutions privées de crédit social de gagner la confiance des régulateurs.
« Du point de vue de la protection de la vie privée des consommateurs, il est peu probable que le gouvernement accorde la gestion de telles données à des institutions privées à un moment où la protection des données personnelles reste encore à assurer » a-t-il conclu.★
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