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« J’aime la Chine », un bon business ?

Dernièrement, sur les plateformes de vidéo à l’image de Bilibili, ixigua et TikTok, sont apparues des stars du net étrangères parlant chinois et qui partagent leur vécu quotidien en Chine, expliquant les différences culturelles entre la Chine et les pays étrangers, ou encore réalisant divers défis et interviews. Guo Jierui (de son vrai nom Jerry Kowal), originaire de New York, sans être celui qui parle le mieux chinois ni celui ayant vécu le plus longtemps en Chine, figure pourtant parmi les plus influents de ces nouvelles stars du net. Il est suivi par plus de 4 millions de fans sur Bilibili tandis que chacune de ses vidéos publiées en ligne réunissent toutes plus d’un million de vues.


Sa récente apparition dans le journal télévisé de CCTV (la télévision d’Etat chinoise) l’a d’ailleurs rendu encore plus populaire. Auteur de vidéos faisant connaître la situation épidémique à New York, il fut invité par la CCTV en directlors de sa visite à l’hôpital de campagne nouvellement construit. Il en tira ainsi son nouveau surnom : « reporter de guerre ».


L’authenticité et l’objectivité de ces uploadeurs étrangers, comme Guo Jierui, sont les points les plus souvent appréciés de leurs fans. Néanmoins, ils se retrouvent souvent dans des situations d’une grande complexité, face à une opinion publique changeante, leur statut d’« étranger » et l’imprévisibilité des variations des émotions collectivessur l’internet chinois, mettant alors à l’épreuve ces stars du net étrangères.


Par Gu Xin

Guo Jierui réalise un reportage à l’hôpital de campagne de New York


« Le vieux Guo a l’air stressé. »


Un tel commentaire, de style Danmu, s’afficha sur l’image. Lors de l’émission en direct du 2 avril de la CCTV, Guo Jierui parlait, avec un air sérieux, en faisant le tour de l’hôpital de campagne de New York, tenant en main une perche à selfie. « Nos spécialistes affirment que c’est très grave, alors que pour notre gouvernement cela s’apparente plutôt à une grippe ».


Avant de pouvoir réaliser de telles vidéos, Guo Jierui et sa collaboratrice chinoise Cindy doivent mener au préalable de nombreuses études, écoutant tous les jours les discours de gouverneurs et du président et regarder un grand nombre de reportages approfondis réalisés par les médias. C’est face aux messages laissés par de nombreux internautes questionnant, par exemple, « pourquoi le président Trump demande à l’Etat de New York de se débrouiller dans l’approvisionnement en respirateurs », qu’il décida de faire une vidéo expliquant les liens entre le gouvernement fédéral et les gouverneurs d’Etat.


Cindy, chargée du montage vidéo, veille de son côté à bien indiquer la source de chaque information intégrée, car « nombreux sont ceux qui suivent de près la situation épidémique ». Elle dit ainsi agir encore plus prudemment que d’habitude et ne parfois pas réussir à s’endormir sous la pression de l’opinion publique.



Vlad ne ménage jamais ses efforts pour vanter les mérites de la Chine devant la caméra





D’un blogueur gastronomique à un reporter de guerre


A la fin de ses études en commerce international, Guo Jierui décida de partir en voyage pour un temps avant de rejoindre l’entreprise familiale. A partir de 2017, il connut une fulgurante montée en popularité grâce à ses courtes vidéos publiées sur Bilibili racontant le quotidien des Américains. C’est dans l’une d’entre elles, qu’il partagea notamment sa passion pour la sauce pimentée Lao Ganma avec son expression favorite « ce n’est pas épicé !».


A l’instar de nombreux uploadeurs étrangers célèbres, Guo Jierui doit sa popularité à ses vidéos portant sur l’exotisme et la gastronomie. Or, il a très vite pu constater que les préférences des spectateurs chinois sont en constant changement. « Autrefois, on préférait regarder un jeune homme américain déguster des petits plats, alors que maintenant, ce sont plutôt des sujets approfondis qui sont plus susceptibles de donner lieu à des débats. »


Il y a bien longtemps, Guo Jierui et Cindy se mirent à répondre, par des vidéos, aux interrogations des internautes qui les assaillaient de « pourquoi » et « est-ce vrai ? ». Parmi leurs vidéos publiées sur Bilibili, la plus visionnée fut réalisée suite à l’interrogation d’internautes cherchant à savoir « si les Américains étaient vraiment gaspilleurs ».


« Nous avons mené pas mal d’enquêtes, mais avec uniquement des chiffres, la vidéo n’aurait pas été intéressante », explique Cindy à Vision Chine. Ils eurent donc l’idée d’aller voir sur le terrain. Devant un supermarché Walmart, Guo Jierui leva le couvercle d’une poubelle remplie de pain et de pizza avant de tout montrer devant la caméra. Il se rendit même au supermarché pour filmer les fruits aux formes parfaites et tous identiques, dans le but de justifier les données trouvées : 25% d’aliments seraient jetés par les producteurs du fait de leur aspect moche.


« Un Américain jette chaque année des aliments valant 900 dollars environ, cela fait donc 4600 dollars en moyennepour une famille de quatre membres », conclut Guo Jierui dans sa vidéo. Ce calcul, bien qu’erroné, fut conservé tel quel par Cindy lors du montage, ce qui ne manqua pas de faire rire les internautes le surnommant alors le « génie des maths ».


Ayant choisi de mettre l’accent sur les études préalables et les enquêtes de terrain, ils procèdent à des visites, des interviews dans la rue et des découvertes sur le terrain afin que les données obtenues inclues dans leurs vidéos soient visualisées d’une manière claire et directe. A cela vient s’ajouter le don pour les langues et le sens d’humour de Guo Jierui ainsi que le choix ingénieux de musiques d’ambiance par Cindy. Ils ont ainsi réussi à développer progressivement, dans leurs vidéos, un style caractérisé par l’objectivité, l’analyse de fond et l’humour.


Guo Jierui confie à Vision Chine qu’il commença à faire des vidéos parce que « cela lui plaisait ». « Quand des fans me croisent dans la rue me disent ‘Jerry, c’est un plaisir de regarder tes vidéos.’ Waouh, je suis vraiment content de l’entendre et de faire apprendre de nouvelles choses aux autres », se réjouit-il. Actuellement, Guo Jierui et son équipe sont rémunérés grâce à leurs vidéos en touchant un pourcentage du trafic réseau de Bilibili, soit 2 yuans pour tous les 1000 likes et 2000 yuans (250 euros) versés par la plateforme si une vidéo publiée par l’uploadeur est regardée au moins un million de fois.


Bart annonce sur TikTok qu’il a emménagé en Chine (photo à gauche) ; Déclarant « j’aime Huawei » dans une de ses vidéos, il utilise pourtant un iPhone (photo à droite)

Bart annonce sur TikTok qu’il a emménagé en Chine (photo à gauche) ; Déclarant « j’aime Huawei » dans une de ses vidéos, il utilise pourtant un iPhone (photo à droite)




Aiment-ils vraiment la Chine ?


Du fait de leur différence de parcours personnel et d’opinion individuelle, les étrangers devenus des stars du net en Chine font toutefois des choix radicalement différents. Par exemple, Ychina, « l’Intervieweur », choisit d’interviewer 50 personnes avant de sélectionner 10 réponses amusantes et informatives ; Guo Jierui, « l’Aventurier », a été à Chernobyl, à l’école professionnelle de Lanxiang, la première du pays, pour apprendre à conduire une excavatrice et chez les frères Huanong, vedettes du net dans la campagne chinoise ; Xinshidandan, « le Challengeur », a lui tenté de survivre sur une île déserte australienne et de jouer à League of Legends sous l’eau.


En outre, c’est une nouvelle rubrique intitulée « ces étrangers vantent les mérites de la Chine » qui a rapidement enflammé TikTok ces derniers temps. C’est le cas de Vlad, un russe qui, les yeux grands ouverts et le pouce en l’air, vante les mérites de la Chine devant la caméra en toute circonstance : le paiement mobile, la sécurité, la fondue, le téléphone portable Huawei, etc.


Une fois, après avoir obtenu son permis de conduire chinois, il déclara devant la caméra, du fond de son cœur : « je veux m’installer en Chine. J’achèterai d’abord une voiture, puis un appartement. Je veux devenir un véritable Chinois. » Cette vidéo a ainsi atteint à elle seule trois millions de j’aime.

Cependant, un article intitulé « Ces stars du net étrangères qui déclarent ‘j’aime la Chine’ » s’en est pris à lui récemment. Selon cet article, un certain nombre de stars du net étrangères, en réalisant bon nombre de courtes vidéos « sinophiles », ont rapidement obtenu des fans et vu leur popularité monter en flèche, avant d’en tirer des profits colossaux.

Certains détails de leurs vidéos font penser à une « démarche commerciale », tandis que leurs « véritables sentiments » montrés devant la caméra seraient bien loin d’être convaincants.

Selena se montre en tenue « maison » sur Weibo et en tenue sexy sur Instagram



Tout comme Vlad, Bart fait aussi parti de ceux qui ont enflammé la Toile. Suivi par plus de dix millions de fans sur TikTok, il est devenu très populaire après sa transcription en anglais de chansons chinoises, comme le « Chant de la patrie », « Drapeau rouge flottant au vent » et « Mon cœur chinois ». Pour exprimer son amour pour la Chine, il cassa même violemment son iPhone devant un magasin après y avoir acheté un nouveau téléphone portable Huawei.


En réalité, bien avant son arrivée en Chine, Bart était déjà un youtubeur de parodies musicales suivi par 10 millions de fans, avant de connaître une baisse en raison du changement de mode de rémunération par YouTube. C’est plustard qu’il reçut, de la part de DCDC Studio de Shanghai, un MCN (réseau multichaîne), un courrier électronique l’invitant à venir poursuivre sa carrière en Chine.


Bart déclara ainsi sans détour, lors d’une interview accordée à Vice, que le MCN l’avait choisi à cause de son physique occidental. « Je me suis même fait teindre les cheveux en blond doré, et la première vidéo réalisée après ma coloration de cheveux a été regardée 30 millions de fois, c’était énorme », se souvint-il. Il avoua que, loin d’être un bon connaisseur de la culture chinoise, il lui suffisait de transcrire en anglais, via Google Traduction, les paroles des chansons populaires chinoises sélectionnées par son MCN avant d’enregistrer et de déposer sur la plateforme ces chansons en anglais. « C’est beaucoup plus simple qu’avant », reconnut-il.


Une logique commerciale


Selon xrich666, un compte public de finances sur les réseaux sociaux, la raison pour laquelle ces courtes vidéos, qui déclarent ostensiblement leur amour pour la Chine, cartonnent sur le web est en grande partie liée aux particularités de la plateforme TikTok. « En regardant des courtes vidéos sur TikTok, on cherche à tuer le temps et à trouver du plaisir. Comme on est toujours content d’entendre des louanges, les internautes n’ont ni besoin de réfléchir avant de donner un j’aime, ni l’intention d’aller vérifier si ces étrangers se sont exprimés de manière sincère.

Cela permet aux vidéastes étrangers, qui ne sont pas forts dans la création de contenu, de survivre : sans avoir à créer un contenu de grande longueur, une minute convient parfaitement pour vanter les mérites de la Chine. »

Par conséquent, le fait que les MCN présentent ces étrangers comme vidéastes sinophiles entre entièrement dans une logique commerciale.


Le tonton américain Aaron et sa femme chinoise


« Les vedettes du net et les stars étrangères, implantées sur les plateformes d’internet chinoises, veillent à adapter leur contenu en fonction des caractéristiques du public ciblé. Citons l’exemple de Selena Gomez qui, publiant des photos sexy sur Instagram, se montre en revanche en tenue « maison » et confortable dans ses courtes vidéos publiées sur TikTok et Weibo, « en cohérence avec l’esthétique chinoise », explique Li Bo, chargé du développement du marché international de l’internet, avant d’ajouter que sans bien connaître les préférences du public chinois, un grand nombre de vedettes du net et stars étrangères cherchent toutefois à les satisfaire sans même le faire exprès.


Selon M. Wei Peiran, co-fondateur de Gaishi Entertainment, l’entreprise ayant fait connaître en Chine le garçon au faux sourire Gavin Thomas, plus les vedettes du net étrangères se sont intégrées dans la vie chinoise, plus elles sont appréciées du public sur TikTok. On y trouve ainsi le garçon étranger Agash qui a un colocataire chinois, la fille italienne Boni qui se trouve en rivalité avec la sœur cadette de son copain chinois, le tonton américain Aaron qui écoute sans condition les besoins de sa femme chinoise, etc. La clé du succès d’un grand nombre de ces vedettes du net étrangères sur TikTok, on peut le dire, réside dans le fait qu’elles partagent leur vie avec des Chinois et arrivent à faire rire le public de leurs différences culturelles.

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